Nous avons vécu au cours de l’été 1999 la première velléité gouvernementale de faire équiper les voitures particulières d’un limiteur de vitesse. Elle a sombré dans le ridicule au cours de l’été, le projet français de limiter à 140 km/h la vitesse maximale étant totalement vidé de son sens trois mois plus tard. Ce premier recul n’a pas uniquement un intérêt historique, il explique comment le projet de norme concernant les “limiteurs volontaires de vitesse” a été élaboré, il s’agissait d’une manoeuvre pour ne perdre la face et avoir une norme pour un outil de confort n’exerçant aucune contrainte sur l’usager puisqu’il choisit lui même sa vitesse maximale après que la tentative de définition d’une véritable norme de limitation de vitesse ait fait long feu..
Rappelons que le représentant de la France avait déposé en juin 1999 auprès de cette agence des Nations Unies un projet de norme définissant un limiteur/enregistreur de vitesse qui ne permettait plus de choisir une vitesse au delà de 140 km:h, il s’agissait donc bien d’une limitation de vitesse à la construction. Ce projet a été modifié par la France dès septembre 1999 et la commission du WP 29 s’est employée ensuite à définir une norme pour un limiteur de vitesse permettant à l’usager de choisir librement la vitesse maximale qu’il ne souhaite par dépasser, éventuellement au niveau de la vitesse maximale du véhicule. Il n’y avait donc plus la moindre contrainte dans cette norme et l’enregistrement de la vitesse choisie était supprimée.
Le sigle WP 29 désigne l’agence des Nations Unies localisée à Genève qui élabore des normes pour les véhicules. Ces normes sont ensuite incorporées ou non par les Etats dans leurs réglementations.
L’histoire des limiteurs de vitesse, telle qu’elle a été écrite par les Nations Unies est une illustration extrême de l’hypocrisie des nations et de leurs organismes destinés à faire évoluer les règles qui commandent notre vie de tous les jours. La langue de bois présente dans ces documents en fait des références en la matière. Le lobbying de l’industrie allemande contre le limiteur de vitesse apparaît dans toute son ampleur au niveau de tels organismes.Les textes présentés sur le site
- le texte de l’amendement déposé en juin 1999 par la France proposant d’installer sur les véhicules légers un limiteur de vitesse ne pouvant être réglé au delà de 140 km/h et un enregistreur de la vitesse (conservant les données des deux dernières heures de route),
- L’extrait du compte rendu du GRRF de septembre 1999.
- Lettre de Mme Isabelle Massin, déléguée interministérielle de la sécurité routière, adressée à Claude Got le 28 décembre 1999, expliquant les conditions du retrait de la version initiale de la proposition française de juin 1999,
- L’avis adopté le 20 janvier 2000 par le conseil national de sécurité routière recommandant au gouvernement de maintenir son projet initial.
- l’extrait du compte rendu du GRRF de janvier 2000
- Compte rendu de la 120ème session du WP29
- Le texte modifié de septembre 2000
- L’extrait du compte rendu du GRRF de septembre 2000
- Compte rendu de la 123ème session du WP29
- Le texte modifié de janvier 2001
- Le texte modifié de juin 2001
- Version finale de la norme adoptée le 23 janvier 2002 (format pdf)
La source des documents ci-dessous
Les spécifications (normes) des véhicules de transport automobiles sont établies par un organisme des Nations Unies désigné par le sigle WP.29. Elles sont ensuite adoptées par des décisions unilatérales au niveau de chaque état (ou par l’Union Européenne). Pour des raisons historiques, c’est la Commission économique pour l’Europe (qui est un organisme des Nations Unies) qui gère l’évolution de ces spécifications. Pour avoir une connaissance plus précise du rôle de cet organisme, le plus simple est d’explorer le site internet des Nations Unies (commission économique pour l’Europe) à l’adresse suivante : http://www.unece.org/Commentaires de ces textes
L’extrait suivant des discussions au sein du groupe spécialisé des Nations Unies (GRRF) est plus éclairant que tous les commentaires : “The expert from Germany, and OICA opposed the proposal; the expert from OICA pointed out that the speed limitation device is a comfort device offered by the industry, and he resisted having any prescription for a device which would be activated voluntarily by the driver. He also said that having prescriptions could be a restriction for manufacturers. The expert from Japan informed GRRF that his country was not in favour of the proposal. The expert from the European Community informed GRRF that the European Community had considered this issue at a high level and that the decision, which had been taken, was to continue its consideration at a technical level in GRRF. ”
Affirmer que les dispositifs de limitation de la vitesse ne sont que “des accessoires de confort” fait partie de ces affirmations tellement manifestement fausses qu’il faudra bien un jour en rendre compte, éventuellement devant une cour de justice. Il serait évidemment plus difficile de dire “Tant que nous pourrons gagner de l’argent avec des véhicules inutilement rapides et dangereux nous le ferons, que cela coûte la vie chaque année à des milliers de personnes n’est pas notre problème et nous avons suffisamment de pouvoir pour maintenir l’incohérence actuelle et produire des véhicules qui vont deux fois plus vite que les vitesses maximales autorisées dans tous les pays industrialisés autres que le nôtre.”
Il faut analyser d’une part le contenu réel du premier texte déposé par la France (juin 1999) et d’autre part la portée de la prise de position du représentant de la France lors de la réunion des 13/15 septembre 1999.
Le premier texte contient :
– une disposition dépourvue d’ambiguïté définissant un enregistrement de la vitesse pendant les deux dernières heures et un enregistrement des actions du conducteur sur le régulateur de vitesse. Il est possible avec un tel système de rendre obligatoire la sélection de la vitesse maximale autorisée sur la voie ou circule la voiture et de la vérifier.
– Une disposition difficile à comprendre concernant le limiteur de vitesse. Deux interprétations peuvent être données.
o Le conducteur doit obligatoirement choisir une vitesse entre 50 et 140 km/h.
o Le conducteur peut choisir une vitesse limitée entre 50 et 140 km/h mais il n’est pas obligé de le faire, le système est alors un simple régulateur d’allure, ce n’est plus un limiteur de vitesse.
Quels sont les arguments qui permettent ces deux interprétations :
– en faveur de la limitation obligatoire :
o la définition de l’objet du texte :” Le but du présent Règlement est de limiter à une valeur spécifiée la vitesse maximale sur route des véhicules de transport de personnes et de marchandises.”. Il n’indique pas que le but est “de donner au conducteur la possibilité de limiter à une valeur spécifiée …”
o le dispositif propose une vitesse au démarrage du moteur (il ne peut la proposer qu’entre 50 et 140).
– en faveur d’un usage optionnel (régulateur de vitesse)
o l’alinéa indiquant : ” La valeur Vrég doit pouvoir être réglée par l’utilisateur par pas de 5 km/h entre 50 et 140 km/h”. Si l’on interprète le “doit pouvoir” comme une possibilité d’utiliser le dispositif, ce dernier n’est qu’un régulateur de vitesse. Si cette possibilité de régulation n’est qu’entre 50 et 140 km/h, le dispositif devant toujours être actif, il introduit une limitation de la vitesse maximale à la construction.
Le texte de justification du dispositif contient également deux interprétations possibles :
” Le but est de permettre au chauffeur de prédéfinir la vitesse maximale qu’il ne veut pas dépasser (appelée Vrég). Cette sélection doit être simple et volontaire. A chaque redémarrage moteur, une nouvelle sélection doit être intégrée (ou proposée).
Ensuite la vitesse Vrég peut être éventuellement dépassée par le chauffeur mais il doit en être informé : par durcissement de l’accélérateur et par information auditive (information devant rester agréable).”
Le chauffeur peut définir la vitesse maximale mais on voit bien qu’une fois définie il ne peut pas la dépasser de façon prolongée. La phrase sur la nouvelle sélection qui doit être intégrée ou proposée à chaque démarrage fait partie des ambiguïtés du texte. Est-ce seulement la valeur qui est intégrée ou proposée ou la possibilité d’utiliser le limiteur qui est l’objet d’un choix ?. Pour résumer peut-on refuser ce qui est proposé ou intégré ou non ?
Le second texte (compte rendu de la réunion des 13-15 septembre) est plus net. D’une part le représentant de la France indique le renoncement à l’enregistrement de la vitesse réelle et de la vitesse choisie. D’autre part l’interprétation des ambiguïtés signalées ci-dessus va dans le sens d’un usage optionnel du limiteur (The expert from France explained that the proposed device should maintain the speed selected by the driver and did not have the aim of introducing a general speed limitation.), ce dernier n’est plus qu’une variante du régulateur d’allure et la portée de l’amendement en terme de sécurité routière est pratiquement nulle.
Les points les plus intéressants, mais aussi les plus difficiles à commenter sont les suivants :
- Quelle est l’acceptabilité de la thèse de “l’erreur” de l’administration française en juin 1999 ?
Le dossier de l’enregistreur de vitesse était un projet distinct de celui du limiteur de vitesse et c’est par “erreur” que les deux ont été déposés à Genève auprès du WP29. Il y a en fait plusieurs interprétations possibles de la notion d’erreur.- Le représentant de la France à Genève n’a pas fait attention au texte qu’il déposait et par malheur sa secrétaire avait rédigé un texte parfaitement bien construit qui associait et justifiait la limitation de vitesse et l’enregistrement. Si cela avait été le cas, dans tous les organismes du monde, on retire précipitamment le texte et on indique sur le site internet qui le diffuse aux experts : “à notre grand regret, une erreur matérielle a provoqué la publication d’un texte qui nous avait été communiqué à tort, le texte à prendre en considération est le suivant”. Suit le nouveau texte déposé officiellement avec toutes les signatures nécessaires.
- Le représentant de la France auprès du WP29 avait cru bien faire en déposant le texte associant les deux mesures, rédigé par lui et ses services, qui était en cours de discussion mais n’avait pas été validé. Quand les réactions lui sont parvenues à la suite de la diffusion du texte aux experts, il s’est aperçu du malentendu avec sa hiérarchie, mais n’a pas cru bon d’indiquer au WP29 qu’il convenait de remplacer le texte déposé par le “bon texte”. Il le fait verbalement au cours de la réunion du 13 septembre, sans déposer de nouveau texte.
- Le texte déposé était le bon aux yeux des responsables de l’équipement, les réactions provoquées par ce texte décident les responsables à le retirer. L’erreur était de nature décisionnelle et non matérielle. Le changement d’attitude de la France est indiqué verbalement lors de la réunion du 13 septembre mais, comme dans la version précédente, la France ne dépose pas de nouveau texte. Schématiquement il y a eu une erreur mais dans tous les cas elle n’a pas été corrigée par le dépôt d’un nouveau texte.
- Peut-on considérer le retrait de l’article normalisant un enregistrement de la vitesse et des actions sur le limiteur de vitesse comme suffisant pour définir un nouveau texte conservant la limitation de la vitesse maximale à la construction ?
Le texte lui même conserve des ambiguïtés qui empêchent d’être formel sur ce point. Il est en effet très différent de choisir “obligatoirement” une limitation de vitesse entre 50 et 140 km/h ou de conserver la capacité de décider de ne pas mettre en oeuvre le limiteur de vitesse. La situation est alors celle que nous connaissons actuellement, le dispositif n’est qu’un simple régulateur d’allure à l’usage optionnel et l’on voit mal pourquoi il faut le normaliser. Les constructeurs ont suffisamment d’imagination et de savoir faire pour le réaliser sans norme. La phrase du représentant de la France reproduite dans le compte rendu de la réunion du 13 septembre va dans ce sens. “The expert from France explained that the proposed device should maintain the speed selected by the driver and did not have the aim of introducing a general speed limitation”. Si la France n’a pas le but d’introduire une limitation généralisée de la vitesse, c’est que l’usage du limiteur de vitesse avec une obligation de sélectionner une vitesse entre 50 et 140 est abandonné. Le seul espoir apporté par cette norme est de voir se développer l’installation et l’usage d’un tel dispositif, ce qui préparerait les esprits à une obligation d’installation couplée à une limitation de la vitesse maximale autorisée. Au lieu de rendre la mesure rapidement opérationnelle, il faudrait alors une dizaine d’années et des milliers de morts en plus pour atteindre l’efficacité.